C’est une des questions que l’on m’a le plus souvent posées : c’est quoi le mot féminin pour auteur ? Auteure ? Autrice ? Est-ce qu’il y a une forme plus correcte que l’autre pour désigner une femme qui écrit ? Une règle d'orthographe ? Y a-t-il une différence ?
Pas de panique, moi aussi, je me suis interrogée. Mais, entre nous, ce n’est pas bizarre que l’on soit si nombreux à se poser la question en 2024 ?
Pour vous répondre, je vous propose la version courte et la version longue.
La version courte : vous avez le choix, vous pouvez dire les deux, auteure ou autrice, mais personnellement, je préfère très largement autrice.
Vous voulez la version longue ? Ça tombe bien, j’ai un peu analysé le sujet ! Je me suis rendue compte que chacun de ces termes a une origine bien distincte. Je vais donc vous parler histoire et représentation de la femme dans le domaine littéraire.
(Petite) introduction au débat
L'histoire du féminin d'auteur
Autrice, un mot qui existe depuis l'Antiquité
Le XVIIe siècle : les hommes bannissent le mot autrice
Plus de 2 siècles de traversée du désert pour les autrices
Le retour des autrices... dans la douleur
Auteure et autrice aujourd'hui
Ce que disent les dictionnaires
Est-ce qu'il y a encore débat ?
L'usage d'auteure et autrice aujourd'hui
En France, nous avons ce talent particulier de nous déchirer sur les mots de notre langue. Si vous avez le moindre doute sur le sujet, je vous rappelle le débat sur pain au chocolat ou chocolatine ?
Depuis quelques années, ce qui suscite régulièrement les passions, ce sont les féminisations de noms de métiers. Souvent, l’argument imparable contre un nom de métier féminisé, c’est qu’il « fait moche ». En fait, quand on n’a pas l’habitude d’entendre un mot, il est naturel de le trouver moche. Parce qu’on l’a peu entendu, parce qu’il nous semble inhabituel, il nous parait dissonant. Ce que, naturellement, on traduit par « moche ». C’est humain.
Et le monde des livres n’y échappe pas, bien au contraire ! Il y a quelques mois, j’ai entendu à la radio un monsieur expliquer qu’il trouve le terme « écrivaine » moche. Et que d’ailleurs, dans ce mot, il entendait surtout l’adjectif « vaine », ce qui n’était pas flatteur pour la femme écrivain.
Il y a eu un blanc à l’antenne et dans ma voiture. J’ai regardé mon autoradio d’un air éberlué, et j’imagine que quelqu’un d’autre dans l’émission a regardé le monsieur de la même façon, puisqu’une personne a fini par rétorquer : « par contre, vous n’entendez pas l’adjectif « vain » dans écrivain ? ».
Apparemment non. Le veinard doit entendre "vin".
Bref, tout ça ne nous avance pas sur le débat auteure ou autrice, mais ça me semblait important de souligner que notre ressenti face à la musicalité d’un mot est totalement biaisé par la familiarité que nous avons ou non avec ce mot. Personnellement, cette prise de conscience m’a fait réviser mon jugement esthétique sur un certain nombre de termes.
Rentrons maintenant dans le vif du sujet et passons à l’aspect historique du débat. Parce qu’en vrai, des femmes qui écrivent, ce n’est pas franchement une innovation du XXIe siècle !
Auctrix, l’équivalent latin d’« autrice », existe dès l’antiquité. Ce n’est donc pas exactement une formulation récente et encore moins un néologisme. À l’époque, auteur et autrice ne désignaient pas une personne qui écrit mais un fondateur, un créateur.
À partir du Moyen-âge, on trouve des traces d’autrice, d’auteresse, ou encore d’auteuse.
«Lettres-patentes en parchemin, escrites en langage gascon, de Magdeleine, fille du roy Charles VIIe de France et soeur du roy Louis XIe, vefve du prince de Viane, et mère, autrice et gouvernante de François-Phoebus, roy de Navarre, duc de Nemours » 1480
Au XVIe siècle, on parle d’ailleurs des reines comme des « autrices de paix », et on recense en 1581 la première mention dans un livre français du terme autrice au sens d’écrivaine. Entre 1660 et 1690, on retrouve le terme d’autrice dans les registres de la Comédie Française pour désigner les premières dramaturges professionnelles.
Le XVIIe siècle marque un tournant pour les écrivains et les écrivaines : la naissance des uns et la mort des autres. D’une part, le métier se professionnalise et devient prestigieux, et d’autre part des institutions sont mises en place pour réglementer la langue française.
En 1634 est créée l’Académie Française, composée exclusivement de membres masculins qui ont du mal à admettre le concept de femme de lettres. L’Académie valide les termes de divinatrice, instigatrice, traductrice, mais interdit l’usage d’autrice.
« on dit aussi d’une femme qu’elle s’est érigée en auteur quand elle a fait quelque livre ou pièce de théâtre »
La guerre contre la féminisation d’auteur ou d’écrivain est déclarée et en moins d’un siècle, le terme d’autrice sera éradiqué de tous les manuels de langue. Des journalistes l'utilisent quelque temps dans la presse, mais il y est également âprement combattu.
Au XVIIIe siècle, l'écrivain Nicolas Restif de la Bretonne tente de proposer "auteuse", pour nommer les femmes auteur, mais en vain.
En 1891, la dispute linguistique ressurgit à l’Académie Française, à l’initiative de la romancière Marie-Louise Gagneur. Discussion qui sera vite tranché par les immortels. L'un d'entre eux explique :
« Considérant que le métier d’écrivain ne convient pas à une femme, l’Académie en conclut qu’“écrivaine” n’a pas lieu d’être, et classe autrice et “auteuse” parmi les féminins qui “déchire[nt] absolument les oreilles” ».
Autrice est bien grammaticalement incorrect, et tombe totalement dans l’oubli. Il n’existe plus aucun mot pour désigner une femme auteur. Si seulement cela pouvait suffire à empêcher les femmes d’écrire…
Il faudra attendre les années 1960 pour que le débat reprenne timidement. À partir des années 80, le mot autrice commence à être employé dans la littérature et les revues savantes. Mais l’usage reste rare voire confidentiel.
Le terme d’autrice apparait dans le Petit Robert à partir de 1996 puis dans le dictionnaire Larousse en 2004.
Mais en 2002, l’Académie Française rejette toujours férocement les termes d’autrice et d’écrivaine :
« On se gardera (…) d’user de néologismes comme agente, cheffe, maîtresse de conférences, écrivaine, autrice… L’oreille autant que l’intelligence grammaticale devraient prévenir contre de telles aberrations lexicales. »
(Déclaration sur le site de l’Académie, 21 mars 2002)
À partir des années 2000, l’usage s’étend pourtant progressivement dans les revues, les blogs, puis dans la presse quotidienne.
En 2012, le mot autrice fait son apparition dans le titre d’un article du Monde, à l’initiative de l’équipe des correcteurs et correctrices. Suite au déluge de réactions outrées des abonnées, le titre est modifié dans la journée et le terme autrice est remplacé par auteure. L’équipe en profite pour faire un billet sur son blog, dans lequel elle explique son choix, suscitant une nouvelle salve de commentaires négatifs. Mais l’équipe de correction du Monde persiste, et le mot s’impose peu à peu dans le journal.
Ce qui leur vaut en 2018, une chronique au vitriol dans l’Obs :
« « Ne venions-nous pas de tomber, dans la version en ligne du journal, sur une autrice de la pire facture ? Autrice, je vous demande un peu. […] Autrice… Jusqu’où ça peut-il pas grimper, l’activisme. »
Et pour l’Académie Française ? Il faudra attendre 2019 pour qu’elle réhabilite le terme ! Et encore ! Elle précise :
« le caractère tout à fait spécifique de la notion peut justifier le maintien de la forme masculine” de ce "cas épineux". »
Le terme auteure est un néologisme inventé au Canada dans les années 60 pour pallier la disparition d’autrice. Il s’est étendu en France, mais il s’est particulièrement bien implanté au Québec, notamment à partir des années 70 et 80 à la suite des recommandations de l’Office québécois de la langue française pour féminiser les appellations de métier.
J’adorerais vous dire que non ! Mais malheureusement, oui, la querelle linguistique continue.
À mon grand étonnement, je suis tombée sur cet article du Figaro d’octobre 2022 : Ces femmes de lettres qui refusent d’être des «autrices» ou des «auteures». Je n’ai pas accès à tout l’article, mais j’ai pu lire cette phrase que je trouve incroyable de la part d’une « auteur qui se déclare féministe » :
« En étant auteur femme, je ne crois pas que ça va changer la vision de quoi que ce soit dans la société de passer d’auteur à autrice ».
Je ne pourrais désapprouver davantage ! Je suis convaincue que les mots ont un pouvoir. Et si le féminin d’auteur a été banni de notre langue pendant plusieurs siècles, c’est précisément pour décrédibiliser les femmes de lettres. Et je suis profondément triste de constater que pour certains et certaines, la féminisation des noms de métier reste encore un délire de féminazie.
Je me suis demandé où nous en étions aujourd’hui et comment était réparti l’usage d’auteur, auteure et autrice dans nos textes. Voici quelques petites stats et observations que j’ai rassemblées :
Le nombre de résultats Google actualités :
- auteur 75 000 résultats
- autrice 5 560 résultats
- auteure 1 290 résultats
Les recherches des internautes :
- auteur française 3 600 recherches par mois
- autrice française 590 recherches par mois
- auteure française 390 recherches par mois
- #auteur 833 000 publications
- #autrice 307 000 publications
- #auteure 306 000 publications
Sur le site du Goncourt, pas d’écrivaine ni d’autrice : toutes et tous sont « écrivain »
Quand j’ai commencé à me poser la question du nom de mon métier, autrice m’a immédiatement semblé le plus naturel. Puisque je pouvais par exemple être actrice, directrice, sénatrice, réalisatrice, sculptrice, créatrice, cantatrice, dessinatrice, rédactrice, lectrice, éditrice ou encore traductrice, je ne voyais aucune raison de ne pas être autrice.
J’ai beau ne pas me considérer comme une féministe militante, je trouve ‘auteure’ un peu hypocrite. On accorde royalement un ‘e’ à l’écrit, pour mieux invisibiliser la femme à l’oral, à moins de l’accentuer en prononçant ‘auteur-euh’... Autant choisir de dire autrice, on comprend tout de suite qu’il s’agit d’une femme auteur, sans être obligée d’ajouter un –‘euh’ insistant ! D'ailleurs, après avoir lu dans le Figaro que 'auteure' avec son e qui ne s'entend pas à l'oral était "moins agressif qu'autrice", j'ai commencé à me sentir féministe...
Enfin, quand j’ai pris connaissance de toute l’histoire du mot autrice, cela a fini de me convaincre. Non seulement, la forme me semblait plus naturelle mais, mais elle véhicule un tel passé que j’aime l’idée qu’il fasse enfin son retour dans notre langue.
Une autre raison qui m’a poussé à utiliser le mot autrice est ma présence sur Instagram, où les consœurs avec qui j’échange se présentent majoritairement comme autrices. Ah ! Le pouvoir magique de la preuve social et de l’effet de groupe ! Quand on lit ce mot des dizaines de fois par jour, on oublie très rapidement qu’il n’est pas naturel pour tout le monde, alors que je l’utilise maintenant sans y penser.
Pourtant, ici, j’utilise parfois auteur, depuis que je me suis rendu compte que le mot auteur était 15 fois plus recherché que le mot autrice. J’avoue, ça encourage à être accommodante.
Par ailleurs, dans mon article sur comment je suis devenu autrice, j’emploie très souvent la phrase : « quand je serai grande, je serai écrivain ». Une de mes amies me l’a fait remarquer, surprise : « Pourquoi diantre ne dis-tu pas écrivaine ? ». J’ai longtemps hésité à corriger l’article, puis j’ai décidé de le laisser tel quel. Pas pour des raisons de référencement cette-fois, mais comme témoignage du chemin parcouru.
Parce que quand j’étais jeune, je voulais être écrivain. Le mot écrivaine ne faisait pas partie de mon vocabulaire, et encore moins de mon imaginaire. Par contre, aujourd’hui, je suis autrice, écrivaine.
Et j’espère que des jeunes filles rêvent à présent d’être écrivaine ou autrice.
Pour aller plus loin
Si le sujet vous intéresse, je vous recommande l’excellente et incontournable étude d’Aurore Evain :
« Histoire d’autrice, de l’époque latine à nos jours »