Quand j’ai commencé à parler autour de moi de la publication prochaine de mon livre, une question revenait souvent, un peu incrédule : « tu as trouvé un éditeur ? »
Euh… Non. Plus exactement, je n’ai même pas cherché !
Au moment de me renseigner sur le monde de l’édition, j’ai découvert que l’auto-édition a bien changé. Avant cela, j’étais persuadée que c’était un pis-aller pour des textes qui avaient été refusés par tous les éditeurs. Des livres pour lesquels leurs auteurs dépensaient une fortune afin de les faire publier par des pseudos éditeurs peu scrupuleux (pour ne pas dire pire).
Mais aujourd’hui, ce n’est plus du tout ça ! Je vous explique tout ça en détail !
Commençons par trois petites définitions rapides, tout d'abord, puisque dans mon introduction, j’ai évoqué l’époque où je confondais deux choses : l’auto-édition et l’édition à compte d’auteur. Je ne suis peut-être pas la seule ?
C’est quand l’auteur rémunère un « éditeur » pour publier son livre. Personnellement, je pense que c’est une arnaque complète. Déjà, le client de « l’éditeur » n’est pas le lecteur, mais l’auteur. Donc les efforts commerciaux de « l’éditeur » sont intégralement orientés vers les auteurs et non destinés à promouvoir les livres.
Par ailleurs, de nombreux retours et expériences ont démontré que ces pseudos-éditeurs étaient prêts à publier n’importe quoi pourvu qu’ils puissent faire payer l’auteur. Enfin, ils n’hésitent pas à tenter de se faire passer pour de vrais éditeurs - c’est-à-dire un éditeur à compte d’éditeur - avant de demander du cash à l’auteur au dernier moment. Bref, des gens à fuir !
C’est l’édition traditionnelle : l’auteur cède ses droits à l’éditeur qui prend en charge la publication, la diffusion et la promotion du livre. L’éditeur investit et prend un risque financier pour publier le livre puis reverse un pourcentage des ventes à l’auteur, que l’on appelle les droits d’auteur. Et j’aurai beaucoup à dire sur le sujet, un peu plus loin dans cet article !
L’auteur est ici son propre éditeur : il s’occupe tout seul de la publication, de la diffusion et de la promotion de son livre. Bien entendu il peut déléguer la totalité ou une partie du processus à des plateformes spécialisées, mais il reste l’éditeur et conserve ses droits. Les plateformes les plus connues sont Books on Demand, Amazon Kindle Direct Publishing, Bookelis et Librinova.
Ces plateformes ont joué un rôle majeur pour démocratiser le monde de l'édition, en proposant par exemple la publication à la demande. L'auteur n'est plus obligé de faire imprimer et d'acheter plusieurs centaines de livres pour commencer son activité. Maintenant, chaque livre est imprimé au moment où un lecteur l'achète et envoyé dans la journée. Les auteurs peuvent donc proposer des livres papier sans aucun investissement de départ.
Ces dernières années, de nombreux auteurs maintenant célèbres ont émergé grâce à l’auto-édition.
Je vous en cite quelques-uns :
J'aurais également pu vous parler de Carène Ponte, Sophie Tal Men ou encore de Marie Vareille, qui ont toutes les trois commencé par l’auto-édition avant de vendre des centaines de milliers de livres en librairie.
Joël Dicker, l’auteur de La Vérité sur l’affaire Harry Quebert (livre que je vous recommande très chaudement d’ailleurs, je l’ai trouvé extraordinaire) a fait le chemin inverse en créant sa propre maison d’édition après le décès de son éditeur.
Enfin, il existe encore beaucoup plus d’auteurs auto-édités inconnus du grand public, qui publient régulièrement des livres et vivent de leur plume grâce à leur communauté de lecteurs. Je pense par exemple à Jupiter Phaeton, qui a développé un petit empire en toute indépendance, Laure Enza, Alice Quinn, Bénédcite P. Durand, Erika Boyer, Anne Briac, AD Martel, et beaucoup d’autres. Et encore, en France le phénomène n'en est encore qu'à ses débuts. En Grande Bretagne et aux Etats-Unis, de nombreux auteurs indépendants figurent dans la liste des meilleurs ventes et sont traduits dans plusieurs langues.
Malheureusement, il n'existe aucune étude complète sur l'auto-édition en France aujourd'hui. Je peux cependant commencer par vous donner quelques chiffres pour illustrer le phénomène. Par ailleurs, j'assiste début octobre à la première Conférence des Auteurs Indépendants en France, et j'espère bien revenir avec de nouvelles données que je pourrais partager ici !
Jusqu’à très récemment, les auteurs auto-édités n’étaient pas reconnus comme des auteurs à part entière par l’État et les organismes sociaux. Ils étaient obligés de se déclarer en tant qu’auto-entrepreneurs, parce que leurs revenus n’étaient pas des droits d’auteurs, puisqu’ils ne cédaient pas leur droit à une maison d’édition.
Mais ça a changé ! Depuis le 1er janvier 2021, le statut des artistes auteurs est désormais accessible aux auteurs indépendants. Ils sont donc enfin reconnus comme des auteurs comme les autres, qu’ils touchent des redevances ou des droits d’auteur. Si ce n’est pas un signe de l’évolution des mentalités, ça !
Bon, après ce petit tout d’horizon, il est temps d’aller voir pourquoi de plus en plus d’auteurs choisissent la voie de l’auto-édition.
Le premier gros avantage, c’est l’indépendance. Et c’est d’ailleurs pour cette raison que je préfère le terme d’auteur indépendant à celui d’auteur autoédité, parce qu’il reflète mieux ma vision de ce choix d’édition.
En France, on estime que 50 000 manuscrits sont refusés chaque année par les éditeurs, et qu’en soumettant un roman à une maison d’édition, on a 1 chance sur 6 000 d’être accepté. Est-ce que les 50 000 manuscrits refusés sont tous mauvais et indignes d’être publiés ? Pas du tout ! Bien sûr, il y a des mauvais textes dans le lot, sûrement même la majorité. Mais parfois, la raison du refus n’a rien à voir avec la qualité du livre, mais tout à voir avec son inadéquation avec la ligne éditoriale de la maison d’édition.
En effet, une maison d’édition est une entreprise, avec un positionnement et une image. Elle va donc choisir des textes qui sont les plus proches de son positionnement, pour répondre aux attentes de ses lecteurs fidèles. Si le texte est bon, mais ne correspond pas, elle ne le sélectionnera pas. C’est ainsi que le célèbre Harry Potter a été refusé par une douzaine de maisons d’édition, avant de trouver enfin éditeur à son pied. Qui oserait dire aujourd’hui que c’est un mauvais roman ?
Parfois, le texte est bon, il correspond, mais il sera refusé malgré tout, par exemple si un autre texte similaire a déjà été accepté juste avant. Et bien entendu, le texte sélectionné sera généralement remanié au moment des corrections éditoriales pour « coller » au maximum à l’esprit de la maison.
Pour l’auto-édition, pas d’éditeur, pas de ligne éditoriale à respecter ! C’est d’ailleurs un des gros bénéfices de l’auto-édition pour le monde du livre : le phénomène a permis de faire découvrir des textes parfois atypiques, et d’apporter plus de diversité à la création littéraire.
Comme nous l’avons vu plus tôt, dans l’édition traditionnelle, c’est l’éditeur qui se charge de la publication du livre et de sa commercialisation. Format, couverture, prix de vente, actions de promotion, c’est lui qui décide. Et c’est bien normal, puisque c’est lui qui prend le risque financier ! Certains éditeurs travaillent main dans la main avec l’auteur, d’autres sont plus directifs.
En auto-édition, c’est l’auteur qui décide de tout. Et je peux vous dire, étant en train de travailler avec ma graphiste sur la couverture de mon roman, que c’est une étape particulièrement excitante !
Bien entendu, cela signifie plus de travail pour l’auteur indépendant, puisqu’il doit gérer les relations avec les prestataires, s’occuper du marketing, de la distribution, etc. Aux États-Unis, les auteurs indépendants utilisent beaucoup le terme « authorpreneur », pour désigner cette double casquette d’auteur et d’entrepreneur. C’est quelque chose qui me parle, et même si cela représente une charge de travail non négligeable, j’aime beaucoup l’idée d’avoir les manettes !
Surtout qu’au final, aujourd’hui, même un auteur édité ne peut se permettre de rester dans sa grotte à écrire et de déléguer toute la partie promotion à son éditeur. Un éditeur a plusieurs dizaines de livres à promouvoir, et un budget limité, surtout pour un auteur débutant. Il ne va pas payer des affiches dans le métro pour un auteur que personne ne connait ! Et n’oublions pas qu’au-delà des célèbres maisons d’édition parisiennes, il y a une multitude de maisons d’édition qui sont toutes petites, avec très peu de moyens humains et financiers.
Donc, quitte à devoir faire le job de toute façon, j’aime autant le faire en toute indépendance !
Un autre aspect qui a été décisif dans mon choix est la question des délais. Imaginons : j’envoie mon manuscrit à des éditeurs. Comme ils sont complètement inondés de manuscrits, ceux qui acceptent encore de recevoir de nouvelles soumissions mettent facilement 6 à 8 mois à répondre. Ensuite, il y a les échanges pour se mettre d’accord sur le contrat, puis les corrections éditoriales, puis l'impression, et enfin il faut trouver une date dans le planning de publication de l’éditeur, en fonction des sorties déjà programmées. Conclusion : le process entier va facilement prendre 18 à 24 mois.
Pour moi, pour mon premier roman, c’était juste inenvisageable ! Je ne suis pas quelqu’un de particulièrement patient, et maintenant que mon livre est terminé, je n’ai qu’une hâte, le faire découvrir à des lecteurs et savoir ce qu’ils en pensent !
Côté auto-édition, pour publier un livre sur Amazon par exemple, cela prend… 24 à 72 heures ! C’est gratuit, un document Word suffit, et c’est facile. Vu ma personnalité, entre la perspective d’attendre une réponse éventuelle d’un éditeur, puis attendre qu’il le publie ou me jeter immédiatement toute seule dans le grand bain en défendant moi-même mon livre, je n’ai pas vraiment hésité !
Sans compter que cette question des délais revient également au moment de la rémunération, comme nous allons le voir maintenant.
La question de la rémunération est évidemment au centre des préoccupations au moment de choisir entre l’édition traditionnelle et l’auto-édition. Dans l’édition traditionnelle, les droits d’auteurs sont compris entre 5 à 12 % du prix HT du livre, avec une moyenne nationale à 9 %. Cela signifie donc que pour un premier roman, l’auteur va plus probablement toucher des droits d’auteurs compris entre 5 à 8 %.
En auto-édition, les redevances correspondent à 70 % du prix du numérique et à 50-60 % du prix du livre papier, hors frais d’impression. Donc un livre numérique vendu 4,99 euros va rapporter plus à l’auteur indépendant qu’un livre papier d’auteur édité vendu 19 euros en librairie ! Et quand on sait qu’en édition traditionnelle, les premiers romans se vendent en moyenne entre 300 et 800 exemplaires, cela ne fait pas beaucoup pour l’auteur !
Sans compter que là encore, les délais de paiement sont bien plus longs en édition traditionnelle. La majorité des auteurs ne touchent leurs droits qu’une fois par an, et après au moins une année d’exploitation de l’œuvre. Donc entre le moment où l’on soumet son manuscrit à une maison d’édition et le moment où l’on touche ses premiers droits d’auteur, il peut tout à fait s’écouler 3 ans. 3 ans ! Vous vous rendez compte ?
Côté auto-édition, les premières redevances tombent 2 mois après la parution du livre et sont ensuite versées tous les mois, ou tous les trimestres selon les plateformes. Enfin, l’auteur a accès à tous les chiffres de son livre, donc il est parfaitement informé du succès commercial ou non de son livre.
Bon, du coup, j’imagine que vous comprenez maintenant mieux mon choix de me tourner vers l’auto-édition. Mais l’auto-édition n’est pas toute rose non plus, et l’édition traditionnelle n’a pas que des inconvénients, loin de là.
Pas du tout ! C’est simplement que cela ne correspond pas à mes attentes du moment. Mon objectif est de vivre de ma plume, pour pouvoir me dédier entièrement à l’écriture, et avoir le temps et l’énergie de créer de belles histoires. Bref, j’estime que pour me consacrer à mon art, j'ai besoin de pouvoir en vivre.
Dans cette optique, l’auto-édition m’a semblé le meilleur moyen d’atteindre cet objectif, et le plus rapide. Mais cela induit aussi de renoncer à certaines choses, et à être attentive à d’autres…
Le premier sacrifice évident, c’est le prestige ! être publié par une maison d’édition induit une forme de validation, l’assurance que des professionnels ont jugé positivement notre livre. Pour encore beaucoup de monde, dont vous faites peut-être partie, les auteurs indépendants ne sont pas de « vrais auteurs ».
D’ailleurs, c’est le revers de la médaille de l’auto-édition. Comme il n’y a aucune barrière à l’entrée, que tout le monde peut publier ce qu’il veut gratuitement en quelques heures, il y a forcément des gens qui publient des textes de mauvaise qualité, avec des fautes, une mise en page approximative… Aujourd’hui, il me semble que la profession se professionnalise toujours plus, mais c’est peut-être parce que je fréquente surtout des auteurs indépendants qui s’impliquent sérieusement dans leur métier.
De mon côté, j’ai compensé l’absence d’éditeur en faisant appel à toute une équipe pour parfaire mon roman feel-good :
Par conséquent, pour moi, la publication de mon livre est loin d’être gratuite. Et c'est aussi du temps que je ne consacre pas à l'écriture. Mais cela me semble un investissement indispensable pour proposer un roman de la même qualité que s’il était publié en maison d’édition.
Par ailleurs, le manque de prestige de l’auto-édition ne concerne pas seulement les lecteurs : il ferme également beaucoup de portes dans le monde du livre. À part quelques prix littéraires spécialisés, on ne peut pas concourir pour un prix littéraire si on n’a pas d’éditeur, beaucoup de salons refusent les auteurs indépendants (même si c'est en train de changer), la presse ne parle quasiment jamais d’auteurs auto-édités, et beaucoup de libraires les refusent également.
C’est un peu un cercle vicieux d’ailleurs, puisque l’absence de prestige et de reconnaissance fait que l’on trouve peu de livres auto-édités en salon et en librairie, ce qui donc contribuent à leur donner une image de romans de « seconde zone ».
Aujourd’hui, je n’ai pas d’ambition de prix littéraire. Et même si ma maman rêve de me voir passer dans Télématin tandis que mon chéri adorerait que Maïa Mazaurette chronique mon roman, cela ne me semble pas prioritaire. (Mais bon, ne nous mentons pas, je serais ravie si ça arrivait !)
Pour les librairies, je suis plus embêtée. Déjà, parce que je préfère soutenir les commerces indépendants plutôt que les géants du web. Et ensuite, parce que quand même, j’avoue, avoir son livre en librairie, ça claque ! C’est d’ailleurs clairement un de mes objectifs à terme, mais pour le moment, j’ai choisi d’y renoncer.
Grâce aux services proposés aux auteurs indépendants aujourd’hui, il est possible d’être distribué en librairie. Cela ne signifie pas que le livre sera sur un présentoir dans la boutique, mais il pourra être commandé auprès du libraire, qui le recevra quelques jours plus tard. C’est utile pour promouvoir les libraires, mais beaucoup moins pour l’égo. Soyons honnêtes : le rêve d’un auteur, c’est de voir son livre sur un présentoir, pas d’être présent dans le logiciel de commande du libraire. Obtenir d’avoir son livre mis en avant dans une librairie reste tout de même possible pour un auteur indépendant, mais ça demande beaucoup de temps et d’efforts pour les démarcher, les convaincre, etc. Donc pas à l’ordre du jour pour le moment, mon égo devra se faire une raison.
C’est là qu’avoir un éditeur représente un vrai avantage. Certes, les droits d’auteurs sont bien moindres qu’en auto-édition, mais si l’éditeur arrive à placer effectivement le livre en librairie, le volume de ventes n’a plus rien à voir. Vous vous rappelez les 285 millions d’euros de chiffre d’affaires des livres numériques ? Ce n’est que 10 % du marché du livre. Le reste, ce sont des livres papier, majoritairement vendus en librairie ou en grande surface culturelle (Fnac, Cultura, Espace culturel Leclerc,…). L’éditeur permet donc sans aucun doute un changement d’échelle, du moins s’il a la capacité et la volonté de mettre en avant le livre chez les libraires.
Je l’ai mentionné en début d’article, il y a quelques exemples d’auteurs qui sont passés de l’auto-édition à l’édition traditionnelle. L’auto-édition peut servir de tremplin pour ensuite passer à l’édition traditionnelle, en évitant l’étape « soumission et attente d’une réponse ».
Mais il y a également maintenant les auteurs hybrides : une partie de leurs livres sont publiés de manière indépendante, et une partie via un éditeur. Cela permet à l’auteur de profiter un peu du meilleur des deux mondes : les livres édités apportent la validation et le prestige de l’éditeur, et bénéficient de sa promotion et de son réseau de distribution, tandis que les livres auto-édités bénéficient d’une liberté éditoriale totale et selon les cas d’une rémunération plus conséquente. Cela arrive aussi fréquemment quand un auteur a envie d’écrire dans un autre genre que les romans qu’il publie chez son éditeur habituel.
Voilà, vous êtes enfin parvenu à la fin de cet article ! Il était très long, et je m'en excuse. Pourtant, j'ai dû renoncer à exprimer certaines nuances, pour ne pas vous perdre totalement dans les détails. J'espère en tout cas qu'il vous aura permis de vous faire une meilleure idée de l'auto-édition et de ses enjeux.
Vous l'avez compris, pour moi, il n’y a pas de bonne ou de mauvaise solution, simplement un choix à faire en fonction de son appétence pour l’entrepreneuriat, de ses objectifs personnels et de ses priorités du moment. L’auto-édition présente de gros avantages, mais également des sacrifices et beaucoup de travail.
De mon côté, j’ai donc choisi l’auto-édition, et pour le moment, c’est un cocktail d’excitation et de galères ! Ce n’est pas facile tous les jours, mais c’est hyper enthousiasmant !